La fin du voyage s’annonçait enfin dès que le panneau annonçant le Comté de Cork apparut sur le côté de la route. Lunettes de soleil Ray Ban fixées sur le nez, le vent battant sur ses courts cheveux et une cigarette au bec, Nolan se sentait de mieux en mieux au fur et à mesure que son ascension le ramenait sur la terre de ses origines. Il imaginait enfin la brise marine de l’océan et les rivages aux falaises déchiquetées de la petite ville de Crosshaven. La houle venait lécher voracement le roc des pierres grossières, les plages n’étaient que peu nombreuses mais la mer était tellement attirante dans ce mélange d’émeraude et d’azur marine qui scintillait sous le soleil même souvent caché par les nuages. Il se revoyait encore, gamin, accroché au voilier de Duke rigolant à pleins poumons avec Kieran. Kieran, il passerait sûrement sur sa tombe. Voilà quelques années qu’il n’y était pas allé. Pas depuis le jour de l’enterrement à vrai dire. Si Nolan était revenu quelquefois dans son village pour des réunions fraternelles, il n’avait pas vraiment eut le courage de rendre hommage sur la stèle de son ami d’enfance décédé sept ans plus tôt. Il tira une longue bouffée de nicotine qui s’évapora l’instant d’après par petites brumes estampés des lèvres masculines. Le paysage semblait défiler à toute allure sur les verres ambrés de ses lunettes alors qu’elle cachait une légère tristesse dans ce regard gris. Il ne parlait pas, ou presque jamais de Kieran. Bien sûr tout le monde était au courant de ce qui s’était passé. Il n’aurait pas pu le cacher à ses sœurs et encore moins à ses connaissances d’enfance. Puis, il y avait Neve. Neve qui était restée seule à Dublin. Si elle était stable et saine depuis maintenant six ans, Nolan avait peur pour cette jeune femme qu’il avait retrouvé si fragile. Depuis lors, elle lui avait pourtant démontré tout le courage et l’affront dont elle était pourvue. Ce petit bout de femme l’étonnerait chaque jour que dieu faisait. Elle s’accrochait dur comme fer à cette nouvelle vie qu’il l’avait aidé à atteindre. Non, Nolan ne devait pas s’en faire. Avec Neve dans les parages, aucune chance qu’il arrive quoique ce soit à sa société. Une autre taffe amenuisa le bâton de nicotine alors que la vitesse croissait sous le pied d’accélérateur enfoncé. Il était pressé d’être arrivé.

La bifurcation se présenta enfin devant lui. A gauche, il partirait pour Cork. Tout droit, quelques rayons discrets du soleil éclairaient le chemin vers Crosshaven. L’hésitation ne se fit pas, bien entendu et il suivit son allure un peu coup de pression plus rapide si ce fut encore possible. Les visages de Camryn et d’Erin se dessinaient dans son esprit, ce qui l’apaisa instantanément. Il était plus que ravi de retrouver ses deux frangines, même si les circonstances de sa venue étaient plutôt tristes et mauvaises si on en croyait le coup de téléphone qu’il avait reçu ce matin. Nolan avait pris directement la route après qu’Erin lui est annoncé le retour de leur cadette et les raisons rocambolesques de la situation. Son fiancé était disparu, mort apparemment. Nolan avait l’impression que le sort s’acharnait sur leur famille. Aucun des trois n’avaient vraiment eu un bonheur longue durée à proprement parlé. C’est la mort dans l’âme qu’il imaginait l’état dans lequel devait être sa petite sœur. Toujours autant protecteur, Nolan se devait d’être présent pour elle, il ne supportait pas voir les larmes ternir cette joie de vivre et ce joli visage qu’arboraient Camryn depuis toujours. Si c’était une forte tête et qu’elle avait bien engagée sa vie en prenant son envol loin de leur nid familiale, plus loin que lui d’ailleurs, Nolan n’aurait jamais supporté –ou eut le cran- de quitter l’Irlande. Mais elle l’avait fait et il était fier de la femme qu’elle devenait. Et malheureusement, où tout semblait sourire, la vie reprenait ses droits pour fondre son amertume sur les personnes les plus courageuses. Il écrasa brusquement son mégot dans le cendrier et un air d’une chanson de Ray Charles retentissait sur le poste de radio. Idéale mélodie qui annonçait son retour.

Ça y est, il avait franchi la ligne et commençait à entrer dans la petite bourgade de son enfance. Un gout salé d’océan se propageait de plus en plus autour de lui. C’était bon, tellement bon de rentrer. Si la ville avait connu quelques nouvelles constructions d’habitations sur les abords urbains, Crosshaven restait inchangée. Les boutiques et établissements défilaient sous ses yeux comme une douce nostalgie ravivée. La mairie, la gare, le bureau du sheriff, le Rose’s Café, le Green Shamrock. Les quartiers s’énuméraient et quelques personnes semblèrent le reconnaître en le saluant d’une main. Les O’Brien avaient toujours été connus ici, ce n’était un secret pour personne qu’ils étaient la fratrie la plus soudée de la ville. La voiture déboula enfin dans le quartier de leur maison familiale. Nolan aurait eu les yeux fermés qu’il aurait pu se garer correctement dans l’allée. Il remarqua néanmoins l’absence de la voiture d’Erin, celle-ci devait être au café. Le moteur éteint, il sortit souplement de la berline et attrapa les valises dans le coffre avant de se diriger vers le porche. D’un actionnement du coude sur la poignée de la porte d’entrée, il remarqua ainsi que celle-ci était ouverte. Camryn devait être là. Entrant dans le hall, posant ses bagages, il s’écria, gaiement, un soupçon d’excitation dans la voix : « Camryn ?! Devine qui c’est ? ».