I. Once upon a time...« Courage, madame, encore un petit effort ! »
Le dit petit effort durait depuis maintenant plus d'une heure, mais Pénélope O'Fay était bien trop calme et réservée pour oser le faire remarquer à la sage femme, même souffrant le martyr. Son mari avait manqué de s'évanouir à peine cinq minutes après le début de l'accouchement, et avait préféré sortir. D'accord, il aurait certainement été entre de bonnes mains s'il s'était retrouvé au sol suite à un malaise, mais les médecins avaient des choses un peu plus importantes à faire. Comme aider sa femme à mettre leur premier enfant au monde. Entre autres.
Finalement, une demi-heure plus tard, la torture était finie. Pénélope et David O'Fay étaient à présent en pleine contemplation du petit bout de chou qui venait de pointer le bout de son nez. Et au milieu de la pluie qui sévissait depuis plusieurs jours, c'était un véritable rayon de soleil.
II. There's this girl I like, but I don't know how to tell her...A quatorze ans, on découvre tout juste l'amour. C'est ce qu'Oona entendait de la bouche des adultes en tout cas. Bien sûr ce n'était pas à elle qu'ils le disaient, mais aux autres autour d'elle, à ses cousines, à ses amies, à leurs enfants. Les gens ne pensaient pas une seule seconde qu'elle aussi puisse être transportée par ce sentiment, avoir des papillons dans le ventre à la vue d'une personne spéciale. Et pourtant.
Parce que c'était bien ce qui lui arrivait depuis le début de l'année. Elle, l'adolescente réservée, ne recherchant en rien l'amour et n'ayant toujours pas compris pourquoi ses amies s'obstinaient à courrir après des garçons qui les faisaient pleurer, elle, était amoureuse. Bien sûr, en s'en rendant compte, elle aurait bien pu en parler à ses meilleures amies, ses confidentes. Elle aurait pu essayer de demander à sa mère des conseils dans ce domaine. Elle aurait pu observer ses cousins pour tenter de discerner les gestes des garçons. Mais le problème était là : ça n'était pas un garçon. De toutes les personnes dont elle aurait pu tomber amoureuse, il avait fallu que ce soit d'une fille. Est-ce que c'était normal, d'abord ?
◇◇◇
« Pssst, Oona »
Le chuchotement discret de Mary, sa voisine de devant, sortit Oona de sa torpeur. Le soleil frappait fort et endormissait tous ses sens. Elle n'avait qu'une envie, s'endormir, mais il en était hors de question. La vieille prof de français la repérerait tout de suite et s'empresserait d'appeler ses parents pour leur faire remarquer le "manque d'attention de votre fille en classe", ce dont elle n'avait pas du tout besoin. Ses parents étaient assez stricts et elle n'était pas adepte des réprimandes.
Elle prit le papier que lui tendit Mary, le déplia, et lut ce qu'il y avait écrit dessus : Attends moi à la sortie des cours. Signé : Jude.
Son coeur rata un battement. Jude, celle qu'elle aimait depuis l'année précédente et pour qui elle s'était résignée à n'être qu'une simple amie, lui demandait de l'attendre. Elle. Toutefois, il ne fallait pas trop s'emballer, elle pouvait juste lui demander un service.
Une heure plus tard, après la longue et dernière heure de cours, elle sortit et attendit devant le portail. Ce jour devint le plus beau de sa vie. Qui est-ce qui lui avait dit que l'amour était rarement réciproque, déjà ?
III. Hello new life, the one before you was so sad... « Dehors. Va t-en. »
Son père resta très calme en prononçant ces mots, et pourtant il ne lui laissait pas le choix. Elle regarda sa mère avec des yeux implorants et blessés. Celle-ci baissa les yeux et ne dit rien. Alors Oona courut dans sa chambre et attrapa ses affaires les plus importantes, les jeta dans sa vieille valise et redescendit les escaliers. Elle s'arrêta devant ses parents, et se retint de pleurer, bien déterminée à rester forte durant cette épreuve.
Elle avait enfin trouvé le courage d'annoncer à ses parents qu'elle était en couple avec Jude, et ce depuis deux ans. Elle avait décidé qu'il était temps de ne plus se cacher. Alors elle avait réfléchi, inspiré un bon coup, et avait parlé de son homosexualité. Mais ça ne s'était pas passé comme prévu. Ils ne l'acceptaient pas.
« Je ne reviendrai pas ici, vous savez. Ecrivez-moi si vous le souhaitez, mais si c'est pour me faire des reproches ce n'est même pas la peine. »
Puis elle leur tourna le dos, sachant parfaitement où se rendre. Sa tante était au courant depuis quelques temps et elle l'avait accepté sans problème. Et puis, elle avait toujours Jude pour la soutenir dans cette épreuve.
Jude, dont les parents avaient accepté l'orientation sexuelle.
Jude, qui la quitta un mois plus tard.
IV. Let's go to Ireland ! Le vol en provenance de Sydney est bien arrivé à destination, les passagers sont priés de se rendre à la salle de débarquement et de récupérer leurs valises. La voix pré-enregistrée de l'aéroport de Dublin résonnait à travers les haut parleurs, et tous les passagers venant du vol concerné suivirent les instructions. N'ayant aucun repère, Oona suivit la masse de gens qui se dirigeait dans une certaine direction. A défaut d'avoir le sens de l'orientation, elle était au moins capable de reconnaître les personnes qui avaient partagé son vol !
Elle attrapa ses affaires et sortit pour appeler un taxi. Enfin, elle était arrivée en Irlande ! Son père avait grandi ici et n'avait cessé de lui raconter ses souvenirs d'enfance, éveillant en elle une certaine curiosité pour ses origines. Elle n'avait jamais eu la chance d'y aller mais elle économisait depuis deux ans pour enfin déménager. Elle avait 23 ans et une nouvelle vie s'annonçait.
Après des études pour s'occuper des enfants en bas âge, elle s'était ensuite tournée vers le service en restaurant. Cet emploi lui allait beaucoup mieux. Sa tante l'avait bien sûr encouragée, et avec ses amies, c'était bien la seule personne à qui Oona arrivait encore à se confier. Timide depuis toujours, elle ne cherchait plus trop à connaître les gens. Elle s'était bien sûr remise de son histoire d'amour avec Jude (la seule de toute sa vie), mais n'avait jamais retrouvé quelqu'un. Ses parents n'ont plus n'avaient pas repris contact depuis qu'elle était partie, et les seules nouvelles qu'elle avait d'eux était par sa tante qui les voyait ou les avait au téléphone.
Ca avait beau la rendre triste, elle n'était pas du genre à broyer du noir. Direction Cork, puis Crosshaven, où elle avait réussi à obtenir un appartement en plein centre-ville !